Magda Isanos - Poesies


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  • MAGDA ISANOS: POÉSIES

  • -"Siecle de sang"
  • -"J'attends l'an premier"
  • -"C'est pour la paix que je prie..."
  • -"Les Jeunes arbres"
  • -"Reve végétal"
  • -"Le Cheval de fiacre, la nuit"
  • -"Si on avait justement partagé"
  • -"Mon Dieu, je n'ai pas encore achevé"
  • -"La Mort de la prophétesse"
  • -"Déesses de rosée"




    SIECLE DE SANG

    Siecle de sang et de cendres,
    une flambée de haine va s'étendre...
    Le mensonge c'est le maître.
    Il hurle des mots que l'on ne peut reconnaître.

    Je n'ai pas peur,
    j'appelle et je pleure,
    au nom de la vie,
    au nom du matin surgi
    au milieu des débris,
    comme un nouveau crédo, lumiere adoucie...
    Le cri de Dieu, au-dessus de la terre:
    "Cain, qu'as-tu fait de ton frere?"
    Et les épis de blé s'inclinaient
    et murmuraient:
    "On l'a vu, on l'a vu,
    Abel, dans la poussiere étendu.."

    La revue "Revista literarã", no.7, 1947



    J'ATTENDS L'AN PREMIER

    J'attends l'an premier d'une autre ere,
    l'an de la paix sur la terre.
    On aura démoli les grands abattoirs
    de l'histoire.
    Mon coeur murmure déja: "Frere,
    pardonne-moi cet héritage de haine,
    et au nom de la souffrance humaine,
    prends ma main, frere.
    Moi aussi j'ai mordu la poussiere
    et j'ai pleuré.
    Tous les miens morts, éteint le feu du foyer,
    dans mon incendiée patrie...
    Aurore étrange, le sang avait lui,
    Les uns apres les autres,
    les horizons tomberent
    devant moi et derriere.
    Je franchissais les confins,
    des rivieres et des monts.
    Et personne n'était plus grand que les grands
    soldats sans noms.
    Nous nous frayions une voie
    a travers les foules grises
    qui se retiraient, effrayées, comme l'eau.
    Les obus tuaient et creusaient
    du meme coup le tombeau de la mere et de l'enfant.
    Et la mort, comme un revenant,
    traversait les champs désertés.

    Et cependant, le yacht aux ponts dorés
    par le soleil du Midi,
    comme un oiseau sans tache, flottait.
    Le milliardaire fumait sa havane:
    "O monde merveilleusement réglé!"
    (Un ver qui grossit dans la plaie qu'il profane,
    de l'humanité toujours dans le sang...)

    Frere, n'ayons plus de ressentiments
    ni de reves chauvins.
    Comme moi, tu travailles de tes mains.
    Tu laboures la terre. Peut-etre, tu écris.
    Il y a des foyers pauvres en d'autres lieux aussi.
    Sur ton visage, je comprends sans mots
    que tu te réveilles chaque jour tres tôt,
    et couches tard chaque soir.

    Donne-moi ta main, sors de ton cercueil,
    démolissons les historiques abattoirs,
    regarde: le soleil sur le seuil...

    Du volume "L'Hymne des montagnes", 1945



    C'EST POUR LA PAIX QUE JE PRIE...

    C'est pour la paix que je prie, pour les choses oubliées
    et pour les gens dans la solitude enfermés.
    Un cercle magique tout autour se dessine.
    Le front refroidit, les heures déclinent
    vers l'aube, toujours plus pâles, les heures déclinent.

    Et encore, c'est pour le sang que je prie,
    plein d'ombre et de peur, le sang d'autrui,
    qu'il ne soit jamais versé sur la terre,
    ou l'on voit les morts comme les fleurs se faire.

    Du volume "L'Hymne des montagnes", 1945



    LES JEUNES ARBRES

    Les jeunes arbres, par un matin de mars,
    les uns pres des autres, se sont mis a prier,
    leurs fronts inspirés brillaient au-dessus
    de la terre encore sous la neige.

    Et dans l'air ou il n'y avait pas encore de volées,
    les arbres qui n'avaient pas encore d'ombres
    chantaient un hymne en l'honneur de la vie,
    les troncs comme des corps nus, ils chantaient:

    "Soleil d'airain, dieu populaire des plantes,
    regarde notre vaillante armée,
    ça et la, l'air est vermeil dans les branches,
    ou il y a les places des fruits futurs...

    Nous ne fléchissons plus, nous ne pleurons pas,
    nous préparons une place bien haute pour les nids,
    nous préparons un orgue de sapins pour les vents,
    soleil d'airain, dieu qui reste toujours rond...

    On nous a raconté de toi dans la terre,
    lorsque nous ne connaissions pas encore le ciel,
    on nous a raconté de toi dans la chaleur du berceau.
    Les semences endormies
    revaient qu'il a avait des couleurs
    du rouge, du bleu, du gris, merveilleuses couleurs.
    O Soleil, descends! Si tu effleures
    nos fronts, nous donnerons des fruits
    et des rondes de fleurs.
    Notre future gloire, la cime la pressent..."

    Et un arc-en-ciel paraît au-dessus des troncs, annonçant...
    Pas la mort, surement pas la mort, a la race
    des jeunes arbres, par un matin de mars.

    Du volume "Poésies", 1943



    REVE VÉGÉTAL

    Je veux, mon âme, me libérer de toi
    et vivre comme les troncs dans la vallée,
    les fleurs prendront la place des pensées,
    ni mal ni bien au monde il n'y aura...
    Sur la montagne que le bois ombrage,
    quand tous les oiseaux s'amuseront,
    j'aurai les larmes du ciel sur mon visage,
    le grand soleil me marquera le front.
    Cheveux défaits, va me laver la pluie,
    de toute la poussiere du passé:
    je m'en suis deja déracinée...
    Boucles d'oreilles, j'ai des étoiles de nuit.
    La pleine lune veut que je la pese
    dans la balance du rameau: un nid.
    De seve et de rayons richement nourrie,
    je veux pousser plus haut que tous, a l'aise.
    Alors, je vais me faire des cordes d'argent,
    de mes rameaux: une lyre... je vais jouer
    pour la joie si fraîche d'exister,
    tandis qu'autour le bois serre ses rangs.

    La revue "Însemnãri iesene", no.9, 1937



    LE CHEVAL DE FIACRE, LA NUIT

    Il semble du brouillard coagulé,
    le vieux fiacre, a la gare... Plaintives,
    résonnent les voix des tristes locomotives,
    dans l'air ou la pluie tarde sans tomber.
    Le cheval n'a plus de force, il réfléchit
    a la longue route et au fouet qui guette,
    aux lourdes lanieres, plus jamais défaites,
    a la froideur humide de l'écurie.
    Sa vieille levre tremble d'épouvante,
    mais lui, pourtant, il ne proteste pas;
    dans la campagne, pas tres loin de la,
    si fraîchement les jeunes herbes sentent.
    En sommeillant, il prete sans cesse l'oreille
    a la voix rude qui demande toujours
    de repartir: Va, ouste! Bouge! Cours!
    Et la douleur est a la route pareille.
    Il y avait eu quelqu'un a son côté,
    il l'effleurait jadis de son naseau,
    et ils venaient a bout de leur fardeau;
    mais il tomba, l'ami... Il est resté
    sans pouvoir comprendre cette loi
    faite de ténebres, qui le conduit
    dans la nuit humide, autant de fois.
    Et cette unique priere s'éleve en lui:
    qu'il reste aussi, comme l'autre, sur la paille,
    indifférent aux coups et aux injures.

    Mais un éclair brulant, en deux le taille,
    il est blessé par une nouvelle injure,
    et se remet en marche, les roues le suivent
    comme hier et comme toujours; au loin, sonores,
    dans l'air mouillé crient des locomotives,
    appels qui percent a travers la mort.

    La revue "Însemnãri iesene", no.7, 1937



    SI ON AVAIT JUSTEMENT PARTAGÉ

    Dans les défilés des montagnes,
    je gémis, la tempe sur la pierre.
    Et j'aurais voulu, ta lumiere
    la chanter encore, sommet des montagnes!

    Si on avait justement partagé
    toutes les peines du monde,
    autant sur mon coeur que sur le tien,
    je ne serais pas morte aussi jeune.

    J'aurais pu me réjouir encore longtemps,
    en riant, sous les verts rameaux,
    j'aurais pu encore longtemps chanter,
    la tempe collée a l'orgue des forets.

    Il y avait encore tant de jardins a cueillir...
    J'aurais orné jusqu'au fond
    ce plateau rond,
    avec des écharpes et des pommes.

    Si on avait justement partagé
    toutes les peines du monde,
    beaucoup d'années encore, j'aurais moissonné
    le soleil de ces terres.

    Mon ami, apporte-moi des épis de blé,
    la-haut, sur le sommet des montagnes,
    pres des cieux et des vents,
    pres du feu silencieux des bergers.

    Vie, pour les uns tu as été
    un éternel festin,
    pour moi - une pluie déserte,
    toi et tes balances truquées...
    Et pourtant, je te salue et je pars a regret.

    Du volume "L'Hymne des montagnes", 1945



    MON DIEU, JE N'AI PAS ENCORE ACHEVÉ

    Mon Dieu, je n'ai pas encore achevé
    le chant que Tu m'avais murmuré.
    N'envoie pas d'anges de feu et de glace ici,
    toutes les nuits.

    Je ne peux partir: l'appel des arbres je l'écoute,
    "Halte!"crient les fleurs, en poussant sur ma route.
    Sur toutes les choses, j'ai a peine commencé
    ma chanson, ma louange naivement étonnée.

    Aux gens, je voulais leur laisser
    mon âme, en guise de pain pour l'arret,
    en guise de champ, de ciel et de bois,
    pour tous ceux qui ne me demandent pas
    et ne me connaissent pas, il faut que je dure,
    que je sois leur veilleuse future.

    Je cherchais dans les herbes qui poussent
    les secrets qui restent cachés a tous,
    je regardais dans la fontaine et dans l'étang,
    et j'écoutais les sapins au vent.

    Alors les anges sont venus m'appeler,
    Mon Dieu, je ne peux partir, je n'ai pas encore achevé!
    Ouvre la cage: elles s'en iront,
    mes impatientes chansons.

    Du volume "Le Pays de la lumiere", 1946



    LA MORT DE LA PROPHÉTESSE

    Je vous ai laissés avec le soleil et les eaux
    aux rames,
    et je vous retrouve tués avec les faux
    el les lames.

    C'est a vous et a vous que j'ai laissé
    ce jardin plein de grenades et de rosée,
    pour en faucher l'herbe, pour en cueillir les fruits,
    et vivre unis!

    Mais a peine ai-je fermé la porte,
    et mes cendres balayés, le vent les emporte.
    A peine j'ai franchi le seuil, au départ,
    et vous avez déchiré mon livre et mon étendard.
    La cour, je ne l'avais pas encore quittée,
    et quelqu'un est sorti pour s'assurer
    que je n'étais pas de retour.
    Un autre regardait le ciel par la bouche du four,
    dans l'espace apercevant
    ma cheville, sur des ponts d'argent.

    Suivie par les cyclones qui me mettent en chasse,
    je reviendrais par la voie des navires,
    mais elle pese sur moi, la Mer des Sargasses,
    muraille que l'Océan seul peut bâtir.

    Du volume "L'Hymne des montagnes", 1945



    DÉESSES DE ROSÉE

    Déesses de rosée,
    je viens vous prier
    de m'accueillir
    dans le pré ou vous allez dormir.
    En guise de cierge de cire,
    c'est une fleur que je désire.
    En guise de messes et de prieres,
    que le vent souffle, que l'herbe touche la terre.

    Et vous, bonnes fées,
    jetez-moi une ceinture,
    pour qu'elle murmure,
    en riviere changée.

    Et sous les eaux légeres,
    mettez-moi en terre,
    que j'entende a travers les rochers,
    comme si j'étais chez moi, au foyer,
    les contes de ce pays plein de lumiere.

    C'est pour cela que je viens vous prier,
    déesses de rosée,
    et qu'il m'embrasse, pourtant,
    meme dans la mort,
    cet horizon verdoyant.

    Du volume "Le Pays de la lumiere", 1946